RICHARD SCOFFIER
ARCHITECTE
TRANSFORMATEURS COLLECTEURS INCUBATEURS
Philharmonies
01/04/2017
Les philharmonies s'apparentent à des laboratoires où se font des expériences sur un nouveau type de confort, le confort acoustique qui apparaît maintenant comme essentiel à la fois dans la conception des logements comme dans celle des villes. Ainsi, Jean Nouvel à la Philharmonie de Paris parvient-il à isoler sa salle des bruits du périphérique tout en lui conférant une atmosphère enveloppante associant intimement clarté et réverbération. Cette salle, comme celle de la Philharmonie de Hambourg d'Herzog et de Meuron, témoigne d'un nouveau rapport à la musique répondant aux exigences d'un public qui ne se rend plus aux concerts par devoir social mais par choix personnel. La configuration de ces espaces implique que désormais les auditeurs ne soient jamais très éloignés de l'orchestre, comme si ce dernier ne jouait que pour chacun d'eux. La philharmonie apparaît ainsi comme une salle d'entraînement permettant au sujet contemporain de développer ses capacités d'écoute et de différentiation des sons sans pour autant être soumis aux rituels sociaux qui s'attachaient jadis à ce type d'expérience.
Théâtres
11/03/2017
Ni esthétique, ni pédagogique, la machinerie théâtrale est essentiellement politique. Dans le monde grec, les habitants d’une ville entière venaient cycliquement s’assoir en demi-cercle au creux d’une colline pour être confrontés à la condition tragique de leur existence avant de reprendre leur place dans la cité. Ailleurs, les dispositifs complexes construits au XVIIIe siècle à Paris, Nantes ou Lyon associeront étroitement théâtre et place publique de manière à ce que les spectateurs puissent, une fois la représentation terminée, jouer leur propre rôle sur une scène ouverte face à la ville. Une mise en abîme parfaitement analysée et réactivée par Christian de Portzamparc dans son projet malheureux pour l’Opéra de la Bastille. Où un cadre de scène babylonien, à l’échelle de la place et de la capitale, maintenait d’immenses portes coulissantes pour mettre en scène la foule à la fin des spectacles. Jørn Utzon dans la baie de Sydney, Snøhetta dans le fjord d’Oslo ou Rafael Moneo entre l’embouchure du fleuve et la plage de Saint-Sébastien sauront jouer sur des contrastes puissants mettant en scène leurs lieux de la parole et du chant dans des paysages totalement décalés.
Bibliothèques
18/02/2017
Si les musées contemporains se proposent comme des containers immergeant leurs visiteurs dans un univers de formes pour suppléer à l’épanouissement de leur imaginaire, les bibliothèques peuvent être considérées comme de véritables mécanismes orthopédiques favorisant la réflexion. Louis-Etienne Boullée imaginait sa bibliothèque comme un amphithéâtre de livres d’où le monde pouvait être lu et comme une scène montrant des savants en train de débattre ou d’écrire. Tandis qu’à Exeter, Louis Kahn propose une vision dualiste où l’espace lumineux du savoir s’oppose à celui, sombre et silencieux, de la révélation. Des questions de lumière et d’ombre qui prennent moins d’importance avec Rem Koolhaas. Son projet pour Jussieu se donne comme un sol unique et continu, un parcours initiatique scandé de nombreuses séquences programmatiques : auditoriums, magasins, espaces de détente... Quant à son projet pour la TGB, il s’affirme comme un espace cérébral dont les salles de lecture s’étirent comme des neurones pour connecter les zones de conservation. Mais la bibliothèque est aussi un équipement à la recherche de son identité, renommée médiathèque puis Learning Center ou simplement troisième lieu, elle tend à s’affirmer comme un entre-deux neutre favorisant le développement des individus en les libérant simplement des obligations de l’université ou du bureau, comme de celles du logement.
MUSées
28/01/2017
Les cabinets de curiosités sont peu à peu sortis du palais pour s'organiser comme des espaces pédagogiques autonomes permettant d'appréhender l'évolution des formes artistiques de chaque pays et de donner le sentiment d'appartenir à une culture nationale. Ils tendent aujourd'hui à sortir de ce cadre pour aider leurs visiteurs à constituer, comme autant d'André Malraux ressuscités, leur propre musée imaginaire. Ainsi la fameuse Galerie du temps du Louvre de Lens, réalisée par SANAA en 2012, les plonge-t-elle dans un espace océanique où ils oublient chronologie et frontières pour tisser aléatoirement des correspondances entre des œuvres appartenant à des époques différentes, des territoires éloignés. Ailleurs, le Guggenheim de Bilbao et la Fondation Vuitton de Frank Gehry accueillent des pèlerins venus du monde entier afin de leur permettre de développer leur potentiel imaginatif. Ce sont aussi des temples présentant des œuvres singulières et non-reproductibles capables de réenchanter un monde d'ersatz et de copies, désabusé et désacralisé.
© 2017 Richard Scoffier