I - LE MUR
12 / 03 / 2011
LES ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE
CONFÉRENCE AU PAVILLON DE L'ARSENAL - DU 12 FÉVRIER AU 16 AVRIL 2022
Qu’il y a-t-il de commun entre l’escalier, l’ascenseur, le tuyau et le rideau ? S'ils ne sont pas toujours pris pour des éléments essentiels de l’architecture et sont souvent assimilés à de simples équipements fonctionnels, ce sont pourtant des tuteurs, des prothèses qui facilitent et qui cadrent nos relations avec le monde extérieur.
Les escaliers ne desservent pas seulement les étages, ils nous permettent de nous élever afin de voir les choses avec un certain recul, une certaine distance ; les ascenseurs ne nous évitent pas seulement la fatigue, ils nous libèrent pour un temps de la pesanteur. Les tuyaux, dont il ne faut pas sous-estimer la symbolique ombilicale, alimentent en fluides nos intérieurs afin qu’ils se définissent comme les milieux les plus favorables à notre développement. Quant aux rideaux, ne croyez surtout pas que l’on puisse les assimiler à des éléments de décoration ! Ils font partie intégrante de l’architecture et nous permettent de vivre à notre propre rythme, en mettant entre parenthèse la tyrannie des jours et des saisons. C’est ce que nous verrons cette année en recherchant dans l’histoire et dans la production récente des exemples d’édifices où ces éléments sont mis au premier plan pour nous accompagner vers notre accomplissement, tout en annonçant les prémisses d’un monde à venir...
L'ESCALIER
Samedi 12 février 2022
Rappelons-nous de la Tour de Babel, le réel commencement de l’architecture selon Hegel. Un édifice uniquement conçu pour permettre aux hommes de s’élever le plus haut possible et porter à son paroxysme l’effort inaugural par lequel ils se sont un jour dressés sur leurs pattes arrière pour contempler sereinement l’horizon. Un bâtiment-escalier légendaire qui nous permet de nous interroger, avec le philosophe allemand, sur la finalité de l’architecture, qui est peut-être moins de nous protéger que de nous pousser à avoir une position dominante sur le monde...
Nous convoquerons les architectures mythiques, classiques, modernes et contemporaines pour les voir comme des dispositifs qui portent, qui soulèvent et qui permettent à l’humanité de se dépasser. Nous irons à Brasilia pour voir l’escalier hélicoïdal du Palais Itamaraty d’Oscar Niemeyer qui, sans le moindre garde-corps, imprime un mouvement ascensionnel à l’ensemble de l’espace. Nous irons à Berlin dans l’ambassade des Pays-Bas dont la circulation extérieure - composée d’un enchaînement de rampes, d’escaliers de coursives - entraîne le bâtiment dans une vaste spirale constamment alimentée par les flux de personnes qui entrent et sortent des bureaux et des salles de réunion...
L'ASCENSEUR
Samedi 5 mars 2022
Faisons la généalogie de l’ascenseur. Il trouve son origine dans les mines du XIXe siècle, puis il se développe sous différentes formes dans les attractions foraines. Un enfant de la balle adopté par les architectes et les promoteurs américains pour construire des immeubles de grande hauteur. Ces impresarios sans scrupule n’hésiteront pas à l’exploiter et à le brimer en l’emprisonnant dans les noyaux servants de leurs gratte-ciels et en l’empêchant d’avoir des accélérations brutales ou des sautes d’humeur.
Amusons-nous à parcourir les œuvres des architectes qui connaissent son ADN festif et révolutionnaire et savent le mettre en évidence : les capsules de verre lancées comme des fusées dans les atriums piranésiens de John Portman aux États-Unis ou sous l’Arche de la Défense d’Otto von Spreckelsen, les show-rooms montés sur vérins de l’Hayek Center de Shigheru Ban à Tokyo, le lourd et lent monte-charge placé au-dessus de l’entrée de la Sperone Westwater Gallery réalisée par Foster à New-York ou encore les élévateurs conçus par Rem Koolhaas - à la Maison Lemoine à Bordeaux ainsi qu’au Lafayette Anticipations à Paris - qui renverse leur sujétion aux étages dont ils étaient les esclaves.
LE TUYAU
Samedi 20 mars 2022
Mais pourquoi parler des conduits et des tuyaux, ces intrus, ces tard-venus de la construction ? Imposés par les connexions à l’eau courante et au tout-à-l’égout ainsi que par la ventilation mécanique, ils ont envahi brutalement l’espace dès le XIXe siècle en perçant les murs ou en dégringolant inopinément des toitures pour en évacuer les eaux pluviales. Pourtant ces agents de la barbarie fonctionnelle, que l’on cherche à cacher par tous les moyens, nous apportent une eau baptismale, recueillent maternellement nos déjections et permettent le renouvellement de l’air vicié par nos miasmes...
LE RIDEAU
Samedi 16 avril 2022
Avec les lambris, les tapisseries et les tapis, les rideaux constituaient autrefois l’enveloppe interne douce et soyeuse des palais et des appartements bourgeois décrits par Walter Benjamin. Ils s’attachaient plus spécifiquement à filtrer et à apprivoiser la lumière crue tombant des ouvertures. Mais voilà qu’ils se sont arrachés à cette intimité pour mener une vie plus aventureuse et ont abandonné les tulles et les velours pour des matérialités plus rugueuses : textures métalliques chez Dominique Perrault, cuirs sombres chez Peter Zumthor... Ils sont aussi appréciés pour leurs qualités thermiques et peuvent être employés pour le contrôle des échanges entre intérieur et extérieur : en retenant la chaleur ou au contraire en la rejetant en fonction des saisons tout en impliquant l’habitant dans la tenue de son foyer. Et ils s'éloignent de la fenêtre pour devenir totalement autonomes.
LES ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE II
CONFÉRENCES AU PAVILLON DE L'ARSENAL - DU 4 FÉVRIER AU 15 AVRIL 2023
Après l’escalier, l’ascenseur, le tuyau et le rideau, cette nouvelle saison de l'Université Populaire aborde la porte, la rampe, le balcon et le garde-corps... Ces éléments seront considérés comme des dispositifs orthopédiques cherchant à nous transformer, à nous éduquer. Ainsi la porte ne doit pas être comprise comme une simple découpe dans un mur mais comme un seuil qui nous prépare psychologiquement au passage d’un espace à un autre. Elle s’ouvre sans transition en jouant sur la surprise ou se développe comme une succession de séquences déterminant un parcours. De même, la rampe n’est pas une simple circulation, elle implique un mouvement presque processionnel, imprimant un rythme, une chorégraphie aux corps qui l’empruntent. Quant au balcon, il ne doit pas être appréhendé comme un simple prolongement du logement. C’est un espace autre, un lieu des possibles indispensable à la constitution de l’imaginaire d’une habitation contemporaine. Enfin le garde-corps, en empêchant les gens de tomber dans le vide et en les immunisant contre le vertige, réaffirme le caractère maternel et protecteur de toute architecture.
En parcourant des exemples puisés çà et là dans l’histoire et dans la production récente, nous verrons comment chacun de ces éléments hétérogènes cherche à se présenter comme principiel ...
LA PORTE
Samedi 4 février 2023
Certaines portes nous plongent immédiatement d’un milieu à l’autre : ainsi Check Point Charlie dans le Berlin des années 1961/1989 nous faisait basculer sans transition du pays de l’abondance vers celui de la pénurie... D’autres, au contraire, définissent de véritables rituels initiatiques, et nous préparent au changement d’ambiance. Ainsi à l’hôtel Thellusson - construit en 1978 à Paris par Claude-Nicolas Ledoux - les visiteurs, après avoir franchi un arc de triomphe et suivis une voie lancée au-dessus d’un jardin escarpé, s’engouffraient dans une caverne avant d’atteindre le vestibule qui leur permettait de monter vers les espaces de réception. Un dispositif spatial convoquant tous les sens que l’on retrouvera dans de nombreux édifices contemporains comme : à Hambourg, à l’Elbphilharmonie ; à Paris, à l’Institut du Monde Arabe, au Conservatoire National ou à l’École d’Architecture de Paris Val de Seine...
LA RAMPE
Samedi 4 mars 2023
Sans l’effort physique que réclame l’escalier ou l’attente que nous impose souvent l’ascenseur, la rampe assure un passage d’une fluidité maximale entre des espaces placées à des hauteurs différentes. Minimisant les ruptures elle s’associe intimement au projet moderne qui milite en faveur d’un espace unifié, sans mur, ni porte et sans secret : un espace d’une fluidité absolue.
Claude Parent et Paul Virilio verront en elle dans les années 60 le moyen de dépasser certaines oppositions fondamentales : entre les constructions horizontales et verticales, entre les circulations et les pièces d’habitation... Elle leur permettra de théoriser la Fonction oblique et la Circulation habitable. Des notions radicales qui donneront lieu à des propositions utopiques et qui seront, trente ans plus tard, déradicalisées et rendues opératoires par Rem Koolhaas dans des projets très concrets: le Kunsthal de Rotterdam (1992), l’Educatorium d’Utrecht (1995) ou le concours pour la Bibliothèque de Jussieu (1992).
LE BALCON
Samedi 25 mars 2023
Cet appendice qui met l’alignement des façades en crise, souvent considéré comme un dépôt ou sont exilés les réfrigérateurs en panne et les vélos, revient sur le devant de la scène après la période de confinement imposée par la récente pandémie.
Il apparait comme un reliquat du jardin de la maison individuelle, du paradis perdu ou de l’habitat à l’air libre de nos ancêtres nomades du paléolithique : un espace supplémentaire indispensable au déploiement de la dimension imaginaire de toute habitation.
LE GARDE-CORPS
Samedi 15 avril 2023
Mais pourquoi parler du garde-corps ? Inexistant dans l’architecture antique, il est un des cauchemars de l’architecte moderne : il semble uniquement avoir été inventé pour s’interposer au jeu savant correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. Prosaïque et trivial, il ridiculise les expressions architecturales les plus radicales en leur rappelant cruellement à la réalité fonctionnelle et règlementaire.
Nous retracerons son épopée qui a eu ses heures de gloire pendant le Maniérisme et le Baroque, quand de grands créateurs comme Michel Ange ou Carlo Maderno lui ont donné ses lettres de noblesse en inventant la balustrade et en lui accordant une certaine autonomie.
Et nous nous interrogerons sur son avenir dans la société hyper-protectrice actuelle ainsi que de sa place dans une architecture contemporaine qui revendique souvent la banalité et l’ordinaire, des valeurs prescrites par Jacques Lucan et ses émules...